« Ce n’est pas comme un bouton on/off. Il faut l’apprivoiser, ce nouveau clitoris ». Face à Céline Mirolo, sage-femme et sexologue, Awa acquiesce doucement. Le regard un peu perdu sous la frange épaisse de ses cils noircis de mascara, la jeune femme écoute les conseils de la soignante, tout en tentant de calmer distraitement son fils de 2 ans qui s’énerve dans une poussette. Regarder la cicatrice dans un miroir ? Trois mois après son opération, la jeune femme d’origine sénégalaise, excisée quand elle avait 10 ans, ne l’a pas encore tenté. Avec douceur, la soignante insiste. « La réparation chirurgicale ne résout pas tous les problèmes. Maintenant que vous avez retrouvé un clitoris, c’est comme pour n’importe quelle femme. Il faut apprendre à vous connaitre. La sexualité, c’est un long apprentissage ». C’est que le chemin, déjà, a été éprouvant pour arriver à cette consultation post-opératoire au sein de l‘unité pluridisciplinaire « Réparons l’excision » de l’hôpital André-Grégoire de Montreuil, qui accompagne les femmes victimes de mutilations sexuelles féminines aussi bien sur le plan chirurgical, que social et psychologique.
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« Elles font quelque chose pour elles »
Awa a commencé le suivi médico-chirurgical au sein de l’hôpital après un parcours migratoire semé de violences physiques et verbales, et une traversée de la méditerranée sur une embarcation de fortune, seule avec ses deux enfants. Dans son quotidien précaire de mère célibataire en demande d’asile, entre deux logements temporaires, il faut maintenant faire de la place pour penser à soi, à sa santé mentale et à son épanouissement personnel. Pas une mince affaire.
C’est justement le pain quotidien de l’unité pilote installée au Centre hospitalier intercommunal (CHI) de Montreuil. Créé en 2017 par la gynécologue-obstétricienne Sarah Abramowicz, ce service est dédié aux femmes victimes de mutilations sexuelles.
Les femmes qui viennent consulter le service ont des profils divers, résume à grands traits Sarah Abramowicz : « Il y a les primo-arrivantes qui viennent parce qu’elles ont mal ou qui ont fui pour se protéger de l’excision. Celle qui ont migré il y a très longtemps et qui ont refait leur vie. Leurs enfants sont grands, les maris qu’elles n’ont pas choisis sont quittés, elles font quelque chose pour elles et pour leurs corps. Et puis, il y a les femmes nées ou élevées en France, victimes d’une tradition qui n’est pas la leur. Elles représentent 25 % de notre patientèle. » Ces dernières sont généralement excisées lors d’un voyage dans leur pays d’origine.
La Seine-Saint-Denis, département très concerné par l’excision
Avec 30 % de sa population issue de l’immigration et la présence de nombreuses femmes originaires de pays à risque concernant les mutilations sexuelles (notamment Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée…), la Seine-Saint-Denis est particulièrement concernée. 7,2 % des femmes adultes y sont excisées, soit 22 500 personnes, d’après l’étude MSF Préval réalisée en 2022. 13 % des femmes qui accouchent à la maternité de l’hôpital André Grégoire sont excisées, selon une étude interne.
Mais le sujet touche la population à l’échelle nationale, en témoignent les patientes qui viennent d’autres villes comme Lille, Auxerre ou Lyon pour être prises en charge dans l’unité de Montreuil. On estime à 125 000 le nombre de femmes vivant en France victime d’une mutilation sexuelle féminine.
Considérée comme un délit en France, l’excision est encore pratiquée dans de nombreux pays, et se retrouve sur tous les continents, avec une prévalence plus importante en Afrique, en Asie et dans le Moyen-Orient, selon l’Unicef.
Au sein de l’unité, plusieurs types de prises en charges sont proposées. Un parcours médico-légal permet d’obtenir un certificat d’excision ou de non-excision (dans le cadre d’une demande d’asile en lien avec le risque d’excision ou en guise de protection en cas de retour au pays d’origine). Les femmes excisées bénéficient également d’une prise en charge pluridisciplinaire. Remboursée à 100 % dans le cadre d’une expérimentation de 3 ans pilotée par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France et démarrée en mars 2025, elle intègre des consultations de psychologie, de sexologie, de gynécologie, des rendez-vous avec une assistance sociale, des groupes de parole…
C’est à la sage-femme que revient la mission d’accueillir pour la première fois une nouvelle patiente. « On est habituées à écouter les femmes. C’est plus doux qu’une consultation avec un médecin, qui sera plus technique. Si elles ont déjà eu un enfant, elles connaissent notre rôle, elles nous voient comme une alliée », décrit Céline Mirolo. Pendant le premier rendez-vous, l’examen gynécologique s’accompagne d’un long échange : « On refait tout leur parcours : leur famille, les violences vécues, un éventuel mariage forcé… On parle de l’excision, des faux motifs qui la justifient dans les pays d’origine et le vrai motif qui est de contrôler la sexualité féminine et de l’anéantir. »
Combattre les fausses croyances
Dans ce maillage, la chirurgie n’est pas obligatoire. Si les femmes sont nombreuses à venir consulter pour « se faire réparer », sur les 250 patientes enregistrées en 2024, 96 seulement ont été opérées. « L’accompagnement psychologique a un rôle tout aussi fondamental que la chirurgie. Les patientes viennent au départ pour récupérer quelque chose qu’on leur a enlevé. Elles ont souvent des problèmes de sexualité, avec des douleurs, ou viennent pour des raisons identitaires, parce qu’elles se sentent incomplètes. La chirurgie permet de répondre à tout ça. Mais elle ne résout pas tout », nuance la chirurgienne.
Techniquement, la procédure est peu invasive et les complications sont rares. L’opération est réalisée sous anesthésie générale, pour ne pas réactiver le traumatisme, et dure entre 30 à 45 minutes. Les réparations effectuées varient en fonction du type de mutilation sexuelle (ablation totale ou partielle de la partie externe du clitoris, avec ou sans les lèvres, ou infibulation, une mutilation qui consiste à rétrécir l’orifice vaginal, réalisé en sectionnant et en repositionnant les petites ou grandes lèvres, parfois par suture).
Certes, l’opération permet dans la plupart des cas d’éliminer les cicatrices douloureuses, d’améliorer l’image de soi et de retrouver des sensations de plaisir. Mais certaines placent parfois trop d’espoir sur la table d’opération. « Notre but, c’est de réparer dans la globalité. La chirurgie, ce n’est que le début. Il y a beaucoup de fausses croyances, certaines femmes projettent des choses qui n’existent pas avec la reconstruction d’un clitoris. Si elles n’obtiennent pas ce qu’elles espéraient, ça va les démoraliser. Il faut être disponible psychiquement pour être dans la découverte de son corps », estime la sage-femme et sexologue Céline Mirolo.
La chirurgie isolée, « contre-productive »
Isolées de tout accompagnement, les chirurgies réparatrices peuvent même être carrément contre-productives, juge également Nina Tunon de Lara, coordinatrice cheffe de projet de l’unité. « Ce qu’on veut éviter à tout prix, c’est le chirurgien plastique qui, entre une lipo et une rhino, fait un clito, sans s’assurer que la patiente est accompagnée à côté. Tout l’intérêt de cette expérimentation, c’est de prendre en charge l’ensemble de l’accompagnement médical, psychologique et social. On espère qu’à l’issue des trois ans d’expérimentation, ce modèle sera pérennisé et développé ailleurs. »
Une intervention n’est jamais refusée aux patientes qui la demandent. Mais elle est toujours précédée puis suivie de nombreux autres rendez-vous. Ce jour-là, comme elle le fait régulièrement, l’équipe se réunit pour discuter des patientes aux parcours les plus difficiles. Egrenées les unes après les autres, des bribes d’histoires s’enchaînent derrière l’appel des noms. Consignées dans les rapports de consultations, les violences passées éclatent en toile de fond. À chaque fois, l’état mental des victimes est décortiqué en amont d’un éventuel passage en chirurgie. Lorsque la patiente est dissociée, accumule flash-back et cauchemars, l’opération est généralement repoussée au profit de la poursuite du suivi psycho-social, en ville ou à l’hôpital.
Des complications psychologiques à soigner
Violence inaugurale, l’excision est souvent la première d’une longue série : mariage forcé, viols et violences conjugales, parcours migratoires chaotiques, agressions sexuelles… « Les femmes excisées ont les mêmes complications psychologiques que les victimes de violences sexuelles : stress post-traumatique, dépression, anxiété, angoisse… », résume la gynécologue-obstétricienne.
Fatoumata, elle, arrive bientôt au bout de son parcours de soins. Excisée en Côte d’Ivoire comme toutes ses sœurs, elle savoure une nouvelle vie. Les infections à répétitions, les douleurs pendant les rapports sexuels semblent un lointain souvenir. La mine joyeuse, elle rembobine, dans le cabinet de la sexologue : « Ma motivation première, c’était d’avoir du plaisir. Avant, l’envie n’était pas trop là, je n’allais pas chercher à avoir des rapports », confie-t-elle.
Huit mois après son opération, elle est transformée. « Dans la tête, ça va mieux. Je me sens libérée, complète. Je le trouve joli, ce clitoris. Il est agréable à regarder, érotique et sensible. Il est fort, il me plaît. »
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