Les recours en justice n’y auront rien fait : pour construire la gare de Bondy sur la ligne 15 Est, la Société des Grands Projets (ex-Société du Grand Paris) a fait exproprier les habitants de la rue Etienne Dolet pour créer une emprise déportée au chantier principal. Refusant de son côté les négociations à l’amiable, Mehmet Yazar a été expulsé ce mardi 29 octobre au matin, juste avant la trêve hivernale.
“Je suis triste“, se désole Mehmet Yazar. Âgé de 73 ans, l’homme a dû quitter mardi dernier sa maison, située au 4 rue Etienne Dolet, devant la crèche départementale Janusz Korczak. “Un huissier et cinq ou six policiers sont venus vers 10h30 me mettre dehors. Je n’ai été prévenu de l’expulsion que la veille. Ils ne m’ont même pas laissé dix minutes pour prendre mes affaires“, témoigne-t-il. Alors qu’il pensait pouvoir récupérer encore quelques effets encore ce mercredi soir, comme le lui avait autorisé la veille la SGP, ordre a été donné à une société de gardiennage de fermer tout accès à sa maison. “Que vont devenir tous mes meubles ? Il y me restait même de la nourriture dans le frigo“, réalise-t-il.
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Expulsé avant la trêve hivernale
Au lendemain de son expulsion, ce comptable à la retraite ne s’attendait pourtant pas à une telle issue. “Je pensais que j’avais gagné quand le tribunal administratif de Montreuil avait donné un délai à la SGP. Mais, ça ne s’est pas passé comme ça. Heureusement que j’avais acheté mon bureau“, soupire-t-il. Mehmet Yazar a, en effet, refusé la solution d’hébergement proposée par la SGP dans un hôtel de Bondy, pour une durée de 11 jours. Il dort aujourd’hui entre les dossiers du cabinet dont il a confié la gérance à son fils.
Son expulsion intervient quelques jours seulement avant le début de la trêve hivernale, le 1er novembre, et alors que l’enquête publique, qui s’est achevée le 10 octobre à Bondy, a réveillé les inquiétudes d’un nombre croissant d’habitant,s non seulement de la commune, mais aussi de Villemomble et des Pavillons-sous-Bois. Une enquête publique exigée par la justice suite au recours déposé par deux habitants, Mehmet Yazar et sa voisine Denise Kasparian, qui réclamaient l’annulation de l’arrêté de cessibilité de leurs biens immobiliers pris le 21 juillet 2022 par le préfet de la Seine-Saint-Denis.
Tous deux sont les seuls propriétaires de la rue Etienne Dolet (un troisième étant parti), à être restés malgré la procédure d’expropriation de la SGP, les négociations à l’amiable n’ayant pas abouti. Pour construire la future gare de Bondy sur la ligne 15 Est, l’opérateur va créer une emprise déportée au chantier principal. Une opération nécessaire, selon elle, faute d’espace suffisant. Située de l’autre côté des voies et de l’actuelle gare du RER E, la parcelle de 3 000 m2 accueillera la base vie et de lieu de stockage temporaire des déblais en provenance de l’emprise principale, via une bande convoyeuse.
Dans son jugement rendu le 17 juillet 2023, le tribunal administratif de Montreuil avait prononcé un sursis à statuer, donnant un délai de douze mois à la SGP et à la préfecture de la Seine-Saint-Denis pour régulariser la déclaration d’utilité publique (DUP). Un délai qui a été prolongé jusqu’au 31 janvier 2025 par un autre jugement du 24 octobre. La juridiction avait retenu notamment la modification substantielle de l’impact du chantier par l’interdiction de circulation des camions de plus 3,5 tonnes sur le pont Jules Ferry, prise par le maire de Bondy en septembre 2022.
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“Dans cette histoire, j’ai tout perdu“
En attendant la régularisation de la DUP, la SGP a toutefois pu procéder à l’expulsion des deux derniers habitants de la rue Etienne Dolet, préalablement indemnisés financièrement pour acheter un autre bien. Le tribunal administratif de Montreuil a, en effet, considéré qu’”une telle modification n’a pas pour effet de prolonger la durée pendant laquelle doivent être réalisées les expropriations“.
La SGP a ainsi assigné Denise Kasparian le 3 septembre devant le juge de l’expropriation du tribunal judiciaire de Paris pour demander une expulsion en urgence, alors même qu’elle finalisait l’acquisition d’une nouvelle maison. Âgée de 85 ans, elle a subi deux AVC et a été hospitalisée en juin. Elle ne souhaite qu’une chose : tourner la page de ce “cauchemar” comme sa fille, Lydia Kasparian, qui ne souhaite plus s’exprimer publiquement aujourd’hui, a souvent qualifié cette séquence. Elle a rendu les clés le 24 septembre, avant l’intervention des forces de l’ordre.
Son voisin, Mehmet Yazar, a attendu l’expulsion. “Dans cette histoire, j’ai tout perdu“, souffle-t-il. “Ma femme, qui était fragile, s’est suicidée le 20 décembre 2020 quand on nous a annoncé que l’on allait prendre notre maison. Ma fille est partie. Je me suis retrouvé tout seul avec mon fils qui travaille avec moi. Je suis très triste. Je n’ai jamais cru qu’une telle chose arriverait en France“, déplore cet ancien ingénieur-chimiste qui a quitté la Turquie au début des années 1980 pour fuir une situation politique tendue. “Mais je vais continuer à me battre et je ferai appel du jugement du tribunal de Montreuil“, prévient-il.
Sollicitée par 93 Citoyens, la SGP n’a pas donné suite pour développer sa position.
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